— PREMIÈRE PARTIE —

MAXIMES SUR LA GUERRE

Maximes sur la Guerre – I 
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I.


      Les hommes peuvent rêver qu'ils n'aiment point la guerre. La nature aime la lutte et la mort.


      C'est à la fleur et dans la plénitude de leur âge que la nature voue les mâles à la mort.


      La nature crée des espèces ; elle ne crée pas des êtres. L'espèce est la fin ; l'être n'est que le serviteur de cette fin. C'est le propre de l'individu de s'abuser sur sa



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destinée et de croire qu'il est né pour soi-même.(1)


      Seuls, les héros soupçonnent qu'ils ne sont point nés pour eux-mêmes. (2)


      La guerre ne transforme point les hommes ; elle les rend à leur fin native. La guerre est l'état naturel des mâles.


      Autant l'homme déteste la mort dans les heures calmes de la vie, autant il l'accepte naturellement dans la lutte.


      Dans l'univers, le service de l'espèce impose aux femelles les charges, les ris-



1. L'homme attache du prix à son existence ; la nature, non.
2. La nature crée des hommes pour être sacrifiés au bien commun ; ce sont les héros.

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      ques de la maternité. Il impose aux mâles d'un même sang la lutte fratricide, le combat entre soi, la mort s'il le faut (1). Ce que l'instinct impose, l'animal l'accepte naturellement. Les mâles sont organisés pour mourir, pour accepter du moins les risques de la mort dans la lutte.


      La nature ne veut point la fécondation ; elle veut la fécondation essentielle. La première mission des mâles n'est pas de se reproduire, mais de s'entre-tuer. Dans l'ensemble du monde vivant, leurs carnages préludent à l'amour. La femelle propage l'espèce ; le mâle, par sa mort, la sélectionne (2). La nature, qui en bénéficie, crée les mâles pour s'entre-détruire ; elle



1. Dans l'univers, la survie de l'espèce impose aux femelles les charges, les risques de la maternité. Elle impose aux mâles de même sang le duel de mâle à mâle, le combat sans merci, la mort s'il le faut.
2. La nature veut que les mâles s'affrontent, qu'ils meurent. Dans l'ensemble du monde vivant, les carnages des mâles préludent à l'amour. La femelle propage l'espèce ; le mâle, par sa mort, la purifie.

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leur en donne le goût et la force de risquer (1).


      Le mâle qui meurt sert l'espèce, en laissant à d'autres le soin de la propager.


      La nature refuse aux mâles le droit de se reproduire, aux races le droit de se perpétuer. Ce droit, les mâles et les races doivent le conquérir dans la lutte. Le premier devoir que la nature leur dicte n'est point de vivre, mais de triompher ou de mourir (2).



1. Un petit nombre de mâles assurent le service de l'espèce. La nature confie à l'ensemble des mâles le soin de dénier à chacun d'eux le droit de se reproduire. Elle les dote de cœurs ennemis, afin qu'ils se mesurent et s'entre-détruisent dans la lutte. L'inimitié des mâles est la loi et le salut de l'espèce. – La nature ne crée l'espèce qu'en y créant les mâles ennemis ; le mâle, par sa mort, la purifie.
2. Un mâle n'a pas le droit de se reproduire. Une race n'a point le droit de se perpétuer. La nature veut le règne des forts. Elle affronte les mâles, elle affronte les races, afin de les juger, de les condamner ou de les conserver.

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      La charge de mourir est aussi naturelle au mâle, qu'à la femelle la charge de porter. La destinée des mâles est de mettre en jeu leur vie au service de l'espèce. Tout mâle porte en soi la vocation de mourir (1).


      La mort se supporte bien à la guerre. À l'heure de la lutte, l'homme naturel méprise la vie. Elle n'est plus sa fin. Il cesse d'être son champion pour devenir celui de l'espèce.


      La guerre n'est point un défi à la nature. Il n'est point contre nature pour le mâle de tuer son semblable ; il n'est point contre nature pour le mâle d'être tué par son semblable. La loi qui régit les rapports des mâles à l'intérieur d'une même espèce est



1. La nature n'aime pas les mâles. – À l'intérieur de chaque espèce, les mâles ont la mission de s'entre-tuer pour le salut de l'espèce.

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une loi de meurtre et de risque. La guerre est un chapitre de l'amour.


      Les mâles de la même espèce ont une ivresse à s'entre-déchirer. L'ivresse de la guerre est une ivresse de l'amour.


      L'égoïsme est le faux calcul. La guerre rappelle soudain aux hommes qu'ils ne sont point nés pour eux-mêmes.


      Les êtres ne sont beaux qu'en amour et à la guerre, parce que le dévouement et l'abnégation sont les deux vertus de l'amour et de la guerre, et les assises de la beauté morale (1).


      Il y a des êtres qui croient s'aimer et



1. La guerre donne aux hommes la beauté morale que la maternité donne aux femmes.

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savent qu'ils ne mourraient point l'un pour l'autre.


      Le pacifisme est un attentat à l'honneur. L'homme n'a qu'une majesté, qui est de savoir mourir. Le pacifisme la lui dénie (1).


      La force qui pousse les hommes au feu est une des plus puissantes du monde. Elle domine celle qui les pousse à l'amour. Il est peu d'amours sur la terre pour lesquels on soit prêt à mourir. L'amour du pays en est un (2).


      Qui n'a pas désiré mourir n'a jamais aimé.



1. Le pacifisme est le frère du malthusianisme.
2. L'amour de la Patrie est un amour ombrageux qui ne supporte point d'être nommé. C'est un amour qui réconcilie tous les hommes, un amour d'accord avec l'honneur, le seul amour auquel l'honneur permette de se laisser aller.

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      Ce n'est pas pour atteindre des sommets que des hommes gravissent les montagnes. Le côtoiement de la mort est si doux, qu'à défaut de la guerre, l'homme s'invente dans des jeux des occasions de mourir (1).


      Aucune espèce animale n'apporte à la mort plus de frénésie que l'homme. Aucune ne s'épure ni ne s'entre-tue davantage. Chez l'animal, il n'y a que les instincts qui s'affrontent ; chez l'homme, il y a les idées. Une croyance qui diffère porte en soi un ordre de mort. Tout idéal est un prétexte à tuer (2).



1. Les voluptés du risque sont si impérieuses que, la vie de société abolissant certains dangers, l'homme s'en crée d'artificiels pour s 'exposer et en jouir.
2. Aucune espèce animale n'apporte à la mort plus de frénésie que l'homme. C'est parce qu'il outre la nature que l'homme outre la mort.

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      Les voluptés peuvent remplir le monde ; ce sont les idées qui le mènent (1).


      La nature ne commande aux êtres de vivre que pour servir. Servir est la fin ; vivre n'est que le moyen. L'instinct de conservation est au mâle ce que la prudence est à une troupe dans une marche d'approche. Il amène vivant, à pied d'œuvre, pour le combat, sa fin dernière, l'être créé pour lutter et mourir.


      Les instincts de vivre et de reproduire sont les instincts mineurs. L'instinct de servir est l'instinct majeur. Que m'importe que tu vives, si tu ne me sers ; que tu reproduises, si tu n'engendres que des morts ! Ma volonté est la vie. Je la jette dans la lice entre les mâles. Fuis, triomphe



1. Les êtres ne sont que le serviteur de l'idée. – La mort volontaire est un tribut de l'homme aux idées. – Les races se fondent sur les idées.

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ou succombe, mais ne me donne que des serviteurs qui continueront à servir mon désir. Je suis le gardien de la durée ; je t'ai associé à mon œuvre : c'est peu que pour m'en payer tu consentes au risque et à la mort.


      Il faut que l'amant obéisse à des fins puissantes pour tuer tout ce qu'il aime (1). Le mâle tue la femelle souillée, comme le mâle. Plutôt point de progéniture qu'une progéniture qui ne soit mienne. Point de monde qui ne me ressemble.


      Ma vertu est la vertu. C'est peu que rien ne m'égale ; rien ne me ressemble. L'imperfection du monde vient de ce que nul n'y est créé à ma ressemblance (2).



1. Il faut bien que le mâle qui tue obéisse à des fins puissantes pour sacrifier tout ce qu'il aime. – La joie de tuer est profonde. Il y a dans le meurtre un assouvissement de l'instinct, une volupté de l'âme.
2. L'ordre de la nature est de haïr qui n'est point soi, ou ne collabore point avec soi. – Chaque être doit dé-

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      Le nouvel époux tolère mal les enfants du premier père. La haine du mâle pour la progéniture d'un autre mâle est telle qu'il la mange.


      L'amant pardonne parfois aux filles de l'autre père.


      La haine est la grande affaire de la vie. Les sages qui ne haïssent plus sont mûrs pour la stérilité et pour la mort.


      La figure du mâle qui combat est hideuse. Elle respire le vice et intime l'ordre



fendre sa cause, jouer son jeu, et par conséquent mépriser les autres, les haïr, les trouver mal. Le bien n'est autre que moi.
1. Tes enfants me plaisent, si je ne t'aime. Mais si je t'aime ? L'amant qui aime hait les enfants du père.

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de frapper. Le mâle est horrible au mâle. Il est ce qui doit être exterminé.


      L'ennemi le plus mortel du mâle est le mâle de sa propre espèce. Ce n'est pas à l'agneau que le loup est terrible. C'est pour le loup d'abord que le loup est le loup.


      Voluptés du corps : rancœurs, remords. L'être sait qu'il trahit. Il n'est de béatitude que de l'âme, et de lauriers que de l'espèce (1).


      La recherche du bonheur est impie.



1. Chaque être possède deux âmes : l'âme du corps et l'âme de l'espèce. L'âme du corps ne prétend qu'à jouir ; l'âme de l'espèce intime l'ordre de servir. Qui ne sert point, sait qu'il trahit. – Le corps veut confort, repos, volupté ; l'espèce veut effort, dureté, sacrifice.

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      Les voluptés sont des amorces ; elles ne sont pas des fins (1).


      L'animal ne travaille à son service que comme intendant de son corps.


      Les peuples qui aiment la guerre sont les peuples mâles (2).


      Les risques de la maternité valent ceux de la lutte. Le mâle n'a pas plus de mérite à s'exposer à la mort que les femelles à s'exposer aux mâles.


      La maternité est l'état naturel de la



1. Les voluptés faciles sont des voluptés interdites. Les voluptueux débauchent la chair au service de l'espèce. Ils détournent à leur profit les joies créées par la nature pour le service de l'espèce. Qui vit pour la volupté, trahit la fin pour les moyens. Les voluptés sont des amorces, elles ne sont pas des fins.
2. Les mâles qui fuient la guerre sont de mauvais mâles.

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femme ; la guerre est l'état naturel des mâles.


      La femme hait la mort. Il lui faut vivre pour accomplir sa destinée.


      Le mâle qui tue sauve le monde (l).


      L'homme d'action enfante comme la femme, et dans la douleur. La douleur passée, il oublie qu'elle fut et recommence à créer.


      La nature donne aux femmes qui ignorent l'amour, le pressentiment de sa gravité. Les prêtres ont vu trembler plus de



1. La nature soumet à des garanties la durée. Les races et les mâles achètent de leur sang le droit de se perpétuer. Le mâle qui tue sauve le monde.

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vierges à l'autel qu'on n'a vu trembler d'hommes à la guerre.


      Les vieillards craignent de mourir. L'instinct de génération ne domine plus chez eux l'instinct de conservation (1).


      Les philosophes peuvent proposer aux peuples l'idéal d'un bonheur tranquille. Les bonheurs tranquilles ne sont pas les seuls auxquels aspirent les hommes.


      La conception d'un paradis tranquille est une conception d'esclave (2).


      Les philosophes des périodes tranquilles pourront rire de l'amour de la Patrie. C'est



1. L'instinct de génération prime chez l'individu l'instinct de conservation.
2. Le besoin de repos est l'apanage de l'inertie.

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qu'ils ne l'auront point connu. L'amour de la Patrie est le dominateur, le bourreau de tous les autres amours (1).


      Les philosophes peuvent tenter de flétrir, de déconsidérer et d'enchaîner la guerre. Les cerfs continueront à bramer dans les bois, et tous les mâles à s'offrir au meurtre et à la mort en vue du salut de l'espèce.


      S'étonner de ce qu'un peuple depuis longtemps pacifique retrouve sur-le-champ ses instincts guerriers, c'est s'étonner d'une femme, depuis longtemps stérile, retrouvant sur-le-champ ses instincts maternels.



1. Tout s'évanouit dans le cœur des hommes, quand la Patrie pousse son cri d'appel. Les mères sont moins remuées dans leurs entrailles par le cri de détresse de leur enfant. Femme, parents, famille, fortune, tout s'efface à leurs yeux. L'amour divin de la Patrie touche jusqu'au cœur du forçat.

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      La nature, qui a attaché des voluptés aux choses de l'amour, n'a pas oublié les voluptés de la lutte. Les voluptés de la lutte sont : la volupté du risque, la volupté de tuer, la volupté de vivre.


      La mort au combat est la fin naturelle des mâles.


      Les guerres s'éteindront sur la terre quand s'éteindra l'amour (1).



1. Le goût de la mort est le lot des mâles. Les guerres s'éteindront sur la terre quand s'éteindra l'amour.

Maximes sur la Guerre – II 
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II.


      Le héros est un prédestiné. Il obéit à une mission (1).


      L'esprit d'invention, l'esprit d'entreprise, l'esprit de sacrifice, la sagesse sont à la base du héros.


      Il n'y a pas de héros pessimiste. Il n'entreprendrait point.



1. C'est la mission qu'il se donne qui fait le héros. La bravoure n'est que secondaire dans son âme ; elle n'est qu'un des instruments de sa passion.

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      Les héros passifs sont nombreux ; les héros d'entreprise sont rares (1).


      L'ensemble des vertus militaires ne constitue pas encore le héros. Ce qui le distingue, c'est la volupté qu'il éprouve dans les situations difficiles.


      Le héros n'agit point par devoir ; il agit par amour.


      Le brave peut avoir du mérite ; le héros, non. L'instinct emporte les mères comme les héros. Aucune mère n'a de mérite, non plus qu'aucun héros.



1. Il y a des étages dans la maison de l'héroïsme. Les héros passifs sont nombreux ; les héros d'entreprise sont rares.

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      Ce que les braves peuvent faire, c'est de donner leur vie. Les héros l'offrent.


      Les anciens ne sacrifiaient que des victimes pures aux dieux. Les héros sont les hommes candides offerts par la nature au salut commun.


      Les hommes impurs ne sont pas dignes de mourir (1).


      Les héros sont crucifiés d'avance ; ils marchent au risque suprême, jusqu'à la mort ; ils sont les aspirants de la mort.



1. Il est juste que les héros meurent, parce qu'ils en sont dignes.

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      Le héros est celui qui s'oublie et se donne (1).


      Certains hommes vont au danger comme les vierges vont à l'amour. Ils le croient sans conséquences.


      L'amour de soi dirige les hommes, mais l'amour d'autrui dirige les héros (2).


      La nature ne crée pas les héros pour vivre, mais pour servir.



1. Le héros est celui qui préfère autrui à soi-même. – Ce n'est ni la bravoure, ni l'audace, ni la fougue qui font le héros. C'est le don de soi-même pour l'amour d'autrui.
2. L'amour-propre dirige les hommes. Mais, ce que La Rochefoucauld n'a point vu, c'est que l'amour d'autrui dirige les héros.

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      L'héroïsme est de servir.


      L'héroïsme a ses degrés. L'effort et le mérite commencent là ou le héros cesse d'être un héros.


      L'héroïsme n'est qu'amour ; il n'est pas effort.


      Où il n'y a plus joie, il n'y a plus héroïsme (1).


      Les hommes ne jouissent de l'univers que par les sens de leur corps ; les héros, par les facultés de leur âme. Les hommes



1. Où il n'y a plus de joie, il peut encore y avoir de l'honneur ; mais il n'y a plus d'héroïsme. L'héroïsme est la joie de l'effort pour l'amour de la lutte.

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se satisfont en possédant ; les héros, en donnant (1).


      Les hommes sont les serviteurs de leur corps ; les héros sont les serviteurs des hommes.


      Les hommes servent leur corps pour les satisfactions qu'ils en tirent. Les héros servent les hommes pour les bénéfices qu'ils leur valent.


      Le corps est un maître exigeant. Les saints se sont toujours vengés sur lui de son instinct de tyrannie.


      L'âme du brave est sourde aux objections du corps.



1. Il y a moins de joie à jouir qu'à servir.

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      Le héros fait bon marché de son corps, parce qu'il lui est étranger. L'âme et le corps ne font qu'un chez les hommes ; ils sont distincts chez le héros. Le corps du héros n'est que son valet d'armes (1).


      Tous les puissants ont une passion qui est de connaître leur limite. L'impossible est ce qui tente les héros.


      Les héros quémandent les ordres durs (2).


      Le tragique est l'élément naturel du héros.



1. L'héroïsme est un besoin qu'a l'âme d'éprouver son empire sur le corps.
2. L'obéissance aux ordres les plus durs, vient d'une âme qui consent en vue de s'estimer.

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      Les jours tragiques sont des jours de noces pour les braves.


      La nature confie aux héros les actes trop lourds pour le reste des hommes.


      L'expérience ne guérit pas de la bravoure (1).


      Les édificateurs des grandes fortunes n'en jouissent point. Ils continuent à rouler le rocher qui les écrase.


      Les parents les plus proches du héros sont les humbles (2).



1. 1. Ni la douleur, ni l'expérience ne brisent, modèrent, matent les grands instincts. Il n'est pas de risque que ne court l'homme d'action, parce qu'un amour le mène et que la raison n'a jamais tenu devant nos grands instincts.
2. Les plus proches parents des héros sont les mères.

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      Comme les mères, les héros mettent leur fin hors d'eux-mêmes (1).


      Les femmes voient grandir leurs enfants sans volupté. Les mères héroïques ne veulent que des nouveau-nés (2).


      C'est le privilège de la maternité et de l'héroïsme, de ne trouver que volupté là où il n'y a que peine et effort.


      La mort est un risque du héros que ne courent plus les mères, mais elle ne constitue qu'un instant de sa carrière, où elle reste négligeable dans la somme de ses renoncements.



1. Les héros, comme les mères, sont les serviteurs de l'espèce.
2. Les mères voient grandir leurs enfants sans volupté. Elles n'ont plus d'emploi auprès d'eux.

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      L'amour de la gloire n'est pas primitif chez le héros (1).


      L'amour du danger, la volupté du risque, le besoin de se confirmer dans le sentiment de sa valeur, la joie de mettre en jeu les qualités d'initiative, le plaisir de duper l'ennemi, le bonheur de lui nuire, l'ivresse de combattre, la certitude de survivre, l'orgueil de mener à bien une entreprise difficile, la jouissance d'accomplir des actions extraordinaires, l'honneur de servir, un corps sain, l'allégresse de toutes les facultés font que des hommes sont des braves.


      C'est une erreur de croire que beaucoup d'hommes sont susceptibles de conce-



1. L'amour de la gloire n'est pas fondamental chez le héros. L'héroïsme n'est qu'amour ; il n'est pas effort.

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voir une conduite héroïque, et que seul le moral leur manque pour le réaliser. Le héros est inimitable, parce que le principe de ses actes est l'amour, et qu'il n'accomplit rien par effort, mais tout par volupté (1).


      Le héros est le mâle né.


      Il y a aussi loin du brave au héros que de la garde à la mère.


      Les héros entendent d'autres voix que celles de leurs chefs, Même dans l'obéissance, ils se dictent leur mission (2).



1. Tous les hommes sont susceptibles de concevoir une conduite héroïque ; les héros seuls la réalisent. – Le héros est inimitable, parce que le fondement de ses actes est l'amour, et que là où le vulgaire ne voit qu'effort, le héros ne trouve que volupté.
2. On peut obéir héroïquement. Mais, même dans l'obéissance, le héros se dicte sa mission. – L'obéissance n'est pas toujours facile au héros. Il entend d'autres voix que celle de ses chefs.

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      Les hommes ne conquièrent que pour jouir ; les héros ne conquièrent que pour donner. Les héros sont les serviteurs des hommes, avant d'être les serviteurs de leurs chefs.


      Le héros connaît ses lâchetés (1).


      Le héros lui-même a des jours où il n'est tenté que de vivre.


      Les héros ont leurs tentations, mais ce sont des tentations héroïques. Il faut pousser les hommes ; il faut retenir les héros.



1. Il n'y a pas d'héroïsme complet. Le héros a ses heures de lâcheté.

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      La fatigue ni la faim n'ont de prise sur les héros. Les hommes ont leur tour de service ; les héros, non. On ne relève de garde ni les mères ni les héros (1).


      On ne remercie ni les héros ni les mères.


      Une âme indomptable dans un corps dompté fait le saint ou le héros.


      La demeure de l'héroïsme est dans la région des idées. Comme les saints, les héros sont les grands de l'esprit (2).


      Être de ceux qui souffrent, non de ceux



1. Les héros ni les mères n'obéissent au devoir. Un héros qui n'agit plus que par devoir a besoin de repos.
2. Les grands de l'esprit ont des disciples ; ils ont peu d'égaux.

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pour qui l'on souffre : orgueil des héros. En second lieu : vivre ; en dernier lieu : bien vivre – devise du héros (1).


      Le héros veut souffrir. il en a l'orgueil (2).


      L'homme ose vexer ; le héros n'ose que servir.


      Subir est plus dur qu'agir à la guerre ; mais subir ne fait pas le héros. Les héros sont des inventeurs et des hommes d'action (3).



1. Souffrir pour racheter le monde, vivre durement, être de ceux qui souffrent : joies des héros. – Souffrir, c'est s'estimer. L'homme noble veut être de ceux qui souffrent, et non de ceux pour qui l'on souffre.
2. Les hommes s'enorgueillissent de leurs plaisirs ; les braves, de leurs souffrances. – Les difficultés attirent les braves, parce qu'ils s'y estiment. L'homme de guerre ne s'estime que dans les circonstances difficiles.
3. Le héros ne subit pas ; il est invention et action.

Maximes sur la Guerre – II 
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      Les héros aiment la défaite, parce qu'elle leur propose de grands devoirs et leur ouvre le domaine de l'initiative.


      Les braves conçoivent mal l'accident. C'est une surprise pour eux que la mort. Ils la savent possible, mais ils n'y croient pas.


      Chez le brave, il y a toujours un amateur du danger (1).


      La plupart des braves n'ont de hardiesse que dans le combat. Ils ne savent se faire valoir que par des actes. Ce sont des sen-



1. Le propre des hommes supérieurs, dans tous les domaines, est de jouer la difficulté. – Un des attraits du danger est le plaisir d'y réussir une chose difficile.

Maximes sur la Guerre – II 
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sibles et des réservés, l'inverse de l'intrigant.


      Il y a des hommes qui n'ont d'aisance que dans l'intrigue. Il y a des hommes qui n'ont d'aisance que dans le devoir (1).


      Il y a une spiritualité de l'héroïsme, et seulement peut-être des héros pour comprendre les héros.


      Il faut être doux envers les héros, même quand ils se trompent. En dehors du combat, ils sont sans défense (2).


      Quand un homme a tout donné de lui-même dans une situation critique, il n'y



1. Il y a des êtres qui n'ont d'emploi que dans l'héroïsme.
2. Les chefs durs sont rarement braves.

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a rien à lui reprocher, même s'il s'est trompé (1).

      Les braves cachent leurs actes comme les honnêtes gens leurs aumônes. Ils les déguisent ou s'en excusent (2).


      On se cache d'être brave comme d'aimer.


      La bravoure porte ombrage comme les autres dons supérieurs.


      Il n'y a guère que les héros qui aiment les héros. Le courage est ce qui se pardonne le moins à la guerre. Dans l'héroïsme, il y a une leçon.



1. C'est une grande déception pour un brave d'être mal reçu par ses chefs ou par ses égaux, le soir d'une bataille où il a tout donné de lui-même.
2. Le héros est modeste ; comme le saint, il s'excuse de ses vertus.

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      La bravoure n'est contagieuse que pour les braves. L'héroïsme n'est contagieux que pour les héros (1).


      L'héroïsme est un complexe de toutes les facultés. La bravoure n'est qu'un de ses éléments (2).


      Le héros ne reçoit ses impulsions que de lui-même. Il peut être discipliné. Il est ingouvernable.


      On croit les braves téméraires, quand



1. Chaque homme cristallise à sa façon, comme un minerai. L'exemple de l'héroïsme peut entraîner ; il ne modifie pas. L'exemple de l'héroïsme n'est un cristal d'amorce que pour les héros. Guynemer a exalté des milliers d'hommes. Quelques centaines ont tenté de le suivre.
2. La bravoure n'est que secondaire chez le héros. Elle est le bras, elle n'est point l'âme. – La bravoure ne fait pas le héros ; il l'acquiert. Elle n'est qu'un des moyens dont il satisfait sa passion.

Maximes sur la Guerre – II 
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ils ne sont que raisonnables. La témérité du brave est une témérité qui voit juste.


      L'audace est folie pour qui craint ; elle est raison pour qui voit clair (1).


      Nier l'ennemi : premier réflexe du brave.


      L'amour des situations difficiles vient de l'assurance de les surmonter.


      Les hommes qui font la guerre ne songent pas à la guerre. Les braves la font et y pensent sans répit. Ils en acquièrent une expérience réfléchie et en deviennent les physiciens.


      Les seuls techniciens du combat sont les braves.



1. L'audace est au premier plan du héros.

Maximes sur la Guerre – II 
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      Le héros n'entreprend qu'à coup sûr. Son orgueil est de penser juste. La blessure et la mort sont la monnaie dont il paie ses erreurs (1).


      Le héros est sans passion pour la victoire. Elle met fin à sa mission.


      Un long triomphe couronné par la mort fait seul le héros. Le héros qui périt à son premier combat, le héros qui survit à son dernier combat, ne semblent pas tout a fait des héros.


      Les jours qui terminent les guerres sont des jours de deuil pour les braves.



1. La vie est la monnaie dont il paie ses erreurs.

Maximes sur la Guerre – III 
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III.


      Ceux qui ne les ont point éprouvées, ignorent jusqu'où peuvent aller les privations à la guerre.


      La fatigue est parfois si grande à la guerre, qu'elle fait désirer la mort pour en finir.


      La faim, le combat, l'insomnie portent au plus haut degré le moral de l'homme qui sert. Des âmes divines habitent les corps harassés. Les âmes s'épurent quand les corps s'épuisent (1). Les combattants



1. Plus le corps se consume, plus l'âme s'épure.

Maximes sur la Guerre – III 
55

au cœur le plus haut sont les combattants épuisés.


      Le corps usé du brave a toujours une ressource. La volupté de servir est trop forte pour que le corps, même épuisé, refuse l'office.


      La fatigue déconsidère.


      L'épuisement ne s'avoue ni en amour ni à la guerre. L'orgueil est d'y paraître surhumain. Les braves cachent leurs fatigues, comme les amants (1).


      La fatigue n'existe pas à la guerre. Les ressources de l'homme y sont infinies. La fatigue est une faiblesse de l'âme.



1. La résistance à la fatigue est l'orgueil des héros, comme des amants. L'épuisement à la guerre, comme dans l'amour, déconsidère.

Maximes sur la Guerre – III 
56

      Nul n'a besoin de repos dans la volupté.


      À la guerre, il n'est pas d'homme qui tue qui ait besoin de repos.


      La guerre est une passion de l'âme.


      Il y a peu de bonheurs qui ennoblissent. Le bonheur de la lutte en est un.


      La nature a doué les hommes de vertus, mais ils ne les déploient qu'à la guerre. Qui n'a pas fait la guerre ne connaît pas l'homme. Médiocre dans l'existence ordinaire, l'homme est beau à la guerre, parce que ses vertus sont guerrières, parce que la nature l'a créé pour la lutte, parce que la guerre est l'état naturel des mâles.



Maximes sur la Guerre – III 
57

      La guerre est aux hommes ce que l'eau dormante est aux cygnes : le lieu de leur beauté.


      Qu'il suffise de dire à un homme : « Tu mourras là », pour qu'il y meure, est une des grandeurs de la guerre (1).


      C'est la dureté de la guerre qui fait sa sainteté (2).


      La guerre assouvit le besoin de lutte qu'ont les mâles. Les hommes ne sont doux entre eux qu'à la guerre.



1. La contrainte morale n'existe que pour quelques lâches sur la ligne de feu. Chacun y est prêt à mourir.
2. L'inconfort, les fatigues, les privations, les jours sans feu, les nuits sans gîte, l'eau, la neige, les dangers, les blessures, la mort font la grandeur de la guerre.

Maximes sur la Guerre – III 
58

      Il faut beaucoup d'efforts, et d'efforts qui réussissent, pour prendre une fierté de soi dans l'existence ordinaire. À la guerre, il suffit de souffrir pour s'estimer (1).


      L'humilité, la pauvreté, la chasteté, la foi, l'espérance, la charité, la mortification, les vertus chrétiennes, pourquoi peu d'hommes peuvent-ils y atteindre dans l'existence ordinaire, alors que tous s'y élèvent sans effort et avec béatitude à la guerre ? (2).


      La guerre est le mode noble de l'activité humaine. La pauvrete n'y humilie pas. La vanité y est étrangère. Le devoir



1. L'homme est le seul animal capable d'accepter volontairement des actes douloureux. Renoncer à souffrir, c'est renoncer à s'estimer.
2. Loin de représenter un châtiment, l'exercice des vertus chrétiennes est une source de béatitude.

Maximes sur la Guerre – III 
59

accompli comble l'âme. Aucun contact n'y est vil. Les hommes y sont frères. La guerre est l'âge d'or.


      La naissance, la fortune, les vanités n'ont plus de prix à la guerre. L'homme n'y est paré que de ses vertus.


      À la guerre, les troupes succombent sous le poids des vertus (1).


      Il est bon de peiner quand on sert.


      Les voluptueux de ce monde se croient bien à tort les heureux. Leurs jouissances font pitié sur la ligne de feu. L'homme qui dort sur la terre ne changerait pas sa couche contre une autre. Les mollesses



1. La nature a comblé les hommes de vertus ; mais ils ne les déploient qu'à la guerre.

Maximes sur la Guerre – III 
60

du corps sont le deuil de l'âme. La nature ne comble de ses béatitudes que ceux qui la servent dans l'effort (1).


      Les voluptueux sont des mendiants qui vivent au jour le jour de l'aumône de leur corps.


      De même que les couvents pleurent sur les mondains, les soldats préfèrent leur misère aux mollesses sans grandeur des heureux.


      Les clôtures, les murs, les serrures insultent à la liberté. Il n'est rien que d'interdit dans la vie sociale. L'homme y étouffe. La guerre autorise tout. Le soldat est un pauvre, mais à qui le monde appartient (1).



1. Les mœurs, les doctrines insultent à la liberté. Il n'est rien que d'intéressé dans la vie sociale. L'homme y

Maximes sur la Guerre – III 
61

      Le pillage n'est pas ce qu'on croit, mais la revanche de la liberté (1).


      L'homme est écartelé entre les devoirs dans la vie sociale. L'existence est légère à la guerre, parce que le devoir y est simple et la voie tracée.


      Les guerres rendent aux hommes qui l'ont perdu le sentiment religieux. Les hommes se croient maîtres de leur destinée dans l'existence ordinaire ; ils n'en appellent qu'à soi de leur sort. Quand la vie et la mort dépendent de facteurs étrangers, ils prennent conscience de leur faiblesse ; ils créent un Dieu, maître de la fatalité, et ils se remettent en ses mains (2).



étouffe. La guerre le libère. Le soldat est un pauvre, mais à qui le monde appartient.
1. Le pillage n'est pas le vol ; il est la revanche de la liberté.
2. Les hommes remettent dans la main des dieux la cause qu'ils plaident contre le destin.

Maximes sur la Guerre – III 
62

      C'est la vie facile qui tue les dieux.


      Les caravanes perdues dans les sables, les barques naufragées sur la mer n'ont connu que des suppliants, jamais de blasphémateurs (1).


      Les pêcheurs sur la mer, les femmes, jouets de la maternité, les êtres que des forces étrangères dominent, croient en un Dieu, maître des éléments.


      Les superstitions sont les filles du risque.


      Tous les aviateurs ont leur fétiche.



1. Les impies ne sont pas des lutteurs.

Maximes sur la Guerre – III 
63

      Des marionnettes, jouant la comédie, pourraient ne plus croire à la main qui les mène. Elles y réfléchiraient dans le drame (1).


      La crainte de l'homme crée les dieux (2). Les politiques créent la crainte des dieux.


      La chance, déesse honteuse des pauvres, joue à la guerre un grand personnage (3).


      La guerre veut des cœurs tout à soi. Elle prend les hommes sur une rive du Léthé, elle les plonge dans le fleuve et les fait passer sur l'autre rive. On n'entre à la



1. Dante réservait un cercle de son enfer aux hommes sans foi.
2. Les religions naissent de la faiblesse et meurent de l'orgueil.
3. La chance, dont se rient les forts qui l'asservissent dans la vie ordinaire, est un grand personnage à la guerre.

Maximes sur la Guerre – III 
64

      guerre, comme dans un amour véritable, qu'avec un cœur neuf (1).


      La guerre tue les désirs avant de tuer les hommes. Les cœurs y sont morts à eux-mêmes.


      Tout est lointain, vu de la guerre.


      Femmes, parents, enfants, tout s'estompe à la guerre. L'homme qui combat n'a plus de passé (2).


      La guerre guérit l'âme. Elle est le royaume de l'oubli.



1. La guerre blanchit les cœurs. Elle est le royaume de l'oubli. On n'y entre, comme au service de Dieu, qu'avec un cœur sans passé.
2. Tout s'estompe à la guerre. L'homme y entre comme dans un autre amour.

Maximes sur la Guerre – III 
65

      Il y a une grande paix à la guerre : c'est d'y être sans femme.


      On retrouve à la guerre le sens des mots primitifs. Il suffit de vivre un hiver sans abri et sans feu, pour comprendre ce qu'ont pu signifier, au début des âges, les termes : un toit et un foyer.


      Bonne année, bonne chance, bon retour, ont un sens à la guerre.


      On est heureux à la guerre du fait seul de vivre. L'existence y est une sorte de cadeau permanent (1).



1. À la guerre, c'est une joie perpétuelle que de vivre. On ne songe à la mort qui guette que pour jouir du présent. – On est heureux à la guerre du seul fait d'exister. On y jouit de la vie comme d'un bien qui vous serait prêté.

Maximes sur la Guerre – III 
66

      On se survit tous les jours à la guerre. La guerre fait chaque jour aux hommes l'aumône de leur vie. Elle peut tout leur demander en retour (1).


      Les voluptés de la génération sont peu de chose auprès de la volupté de vivre (2).


      Il doit exister chez les condamnés aux peines capitales un bonheur de vivre inconnu.


      Les justes aiment la guerre parce que le hasard y préside aux peines et non le fantôme de la justice.



1. On peut tout demander aux hommes pour l'aumône qu'on leur fait de leur vie.
2. La volupté d'aimer est peu de chose auprès de la volupté de vivre.

Maximes sur la Guerre – III 
67

      La guerre est sainte parce que la justice n'y préside pas (1).


      Il n'y a pas de justice pour les saints sur la terre.


      Il n'est pas de blessé à la guerre qui ait dit : « J'ai été blessé injustement. »


      On demande des comptes à la justice ; on n'en demande pas au destin.



1. La justice ne préside pas au combat. Ce n'est pas le mâle vertueux, intelligent qui triomphe ; c'est le plus fort dans l'occasion, le même qui mourra quand il sera combattu par un autre mâle plus fort. La vie et la mort sont donc occasionnelles. C'est même la vertu que la nature punit le plus souvent.

Maximes sur la Guerre – III 
68

      On se plaint d'une iniquité, on ne se plaint pas d'une blessure (1).


      La vie sociale déçoit les hommes nés dans le sentiment de l'équité.


      Le pessimisme des justes vient d'une mère sainte qui s'est assise à leur berceau.


      Il est dur de mépriser les hommes. C'est un des privilèges de la guerre de n'avoir qu'à les estimer.


      La guerre permet d'estimer qui vous frappe (2).



1. On se plaint moins d'une blessure à la guerre que d'une iniquité dans la vie sociale. – L'homme qui se plaint d'une injustice, ne se plaint pas d'une blessure.
2. Les justes aiment la guerre, parce qu'elle permet d'estimer qui vous frappe.

Maximes sur la Guerre – III 
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      On ne peut pas plus juger les hommes en dehors de la guerre, que les femmes en dehors de la maternité.


      On ne parle jamais de la mort à la guerre (1).


      On a beau s'imaginer invulnérable, il y a des coups que l'on reçoit de si près qu'ils font souvenir qu'on est mortel (2).


      La mort n'est rien. L'horreur à la guerre est dans la vie physique (3).



1. De même qu'il y a des sujets qu'on évite entre personnes sensibles, on ne parle jamais de la mort à la guerre. – Il y a deux sujets d'entretien qu'on n'aborde jamais à la guerre : la Patrie et la mort. La Patrie est partout présente à la guerre.
2. L'homme de guerre a besoin de se sentir invulnérable.
3. À la guerre, le moral est de surmonter la vie physique plus que la mort.

Maximes sur la Guerre – III 
70

      Tout est crainte, mystère, attirance, volupté aux premières lignes. Les premières amours qui s'emparent de l'âme ne la troublent point davantage. Le contact de l'ennemi est un contact de l'amour. Les premières lignes au repos sont des femmes qui dorment.


      La guerre crée l'hypnose et l'état second.


      Il n'y a de grand que de jouer sa partie contre le destin. Les vrais jeux sont ceux où l'enjeu est la vie.


      La guerre est un jeu terrible où l'on gagne toujours, sauf une fois.


      Il y a de grands silences dans les grands



Maximes sur la Guerre – III 
71

dangers ; l'attente de la mort peut ne pas troubler l'âme, elle la remplit.


      L'homme le plus attentif est celui qui attend la mort.


      La mort latente à la guerre est la plus sournoise.


      La proximité de la mort donne la paix à l'âme. C'est parce que les hommes se pensent immortels qu'ils consentent au mal. Il faut se croire le temps d'en cueillir les fruits pour se résoudre au crime.


      Il y a une table de jeu du destin ; qui y mise gros n'est jamais vain (1).



1. La vanité est ignorance, bassesse d'ambition. Il y a une table de jeu du destin ; qui mise gros n'est point vain.

Maximes sur la Guerre – III 
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      On n'est jamais sûr, au pied d'une tombe, d'avoir fait tout son devoir. Il est délicat de survivre. Les morts sont les remplaçants (1).



1. Comme il y a toujours une prudence, même dans l'héroïsme, il n'y a pas d'homme qui, en face d'une tombe, ne se demande s'il a fait tout son devoir.

Maximes sur la Guerre – IV 
73

IV.


      Napoléon faisait toujours l'avancement au courage. Le courage témoigne de la vigueur physique, de l'activité, du caractère, par-dessus tout de l'amour de la lutte, qualité capitale à la guerre. Le courage donne le prestige qui enlève la troupe et l'expérience qui autorise les résolutions. Il suppose la prudence sans laquelle il eût été châtié. Il prouve l'intelligence froide qui voit juste dans les conditions du combat. Il répond de l'audace dans le succès, de la fermeté dans les revers, du moral qui exploite ou qui sauve les situations. Il crée le chef souple, dur, hardi, intrépide. Aucune qualité militaire n'est



Maximes sur la Guerre – IV 
74

garante d'autant d'autres. Ne pas faire jouer au courage dans l'avancement un rôle de premier plan, est une faute de principe.


      Les soldats paient de leur vie les erreurs de l'avancement.


      L'ancienneté coûte cher aux armées ; elle est la partie honteuse des principes de l'avancement.


      Hors du génie, l'ambition est une tare à la guerre. Elle déconsidère un homme. L'homme, qui demande à la guerre son élévation, oublie que la guerre ne demande aux hommes que leur sacrifice. La récompense est d'y déployer ses vertus. L'échelon n'importe pas (1).



1. Le génie seul légitime l'ambition à la guerre.

Maximes sur la Guerre – IV 
75

      On ne rencontre l'ambition à la guerre que chez les non-combattants.


      On a vu des ambitieux aller à l'arrière gagner des galons. Ils ne sont pas les plus coupables, mais les organisateurs de l'avancernent.


      Le courage a ses détracteurs (1).


      On méprise volontiers le courage comme un fait de brutalité (2).


      À partir d'un certain grade, la bravoure



1. Pour certains hommes, le courage est ce qui se pardonne le moins.
2. Il faut bien déconsidérer les hommes courageux. Ce sont des brutaux ou des fous. Ils sont sans génie militaire. Ils sont un danger pour une troupe. Ce sont des coupables ; ils font le jeu de l'ennemi

Maximes sur la Guerre – IV 
76

déconsidère. elle jette des doutes sur l'esprit.


      Pour un chef ou un égal sans bravoure, le brave est l'ennemi (1).


      Aux yeux des chefs ou d'égaux sans bravoure, les braves sont suspects. Ils sont suspects de mépriser.


      Pour qui craint, le courage est de l'aveuglement. Le vrai aveuglement est de craindre. En campagne, on peu tout oser neuf fois sur dix. En dehors de quelques minutes critiques, la guerre est sans danger. L'homme qui craint montre



1. Quand on n'a pas de courage, celui des autres est voisin d'une injure. – On n'aime pas toujours convenir du courage. Il y a presque une injure dans le courage des autres.

Maximes sur la Guerre – IV 
77

par là qu'il n'a ni l'expérience ni l'intelligence de la guerre (1).


      Il y a un courage dont la source est dans la force de l'âme, et qui n'a son emploi que dans les situations désespérées. Le courage ordinaire est de la simple intelligence, l'intelligence du non-danger.


      ll faut réhabiliter le courage.


      Le courage est l'épreuve de l'intelligence. Craindre est reculer devant des fantômes. Les braves sont des esprits réalistes.



1. L'homme qui craint croit que le courage résulte d'un aveuglement, d'une ignorance des conditions du combat. Or, le courage résulte de la connaissance de la guerre, de l'intelligence du non-danger. ll répond de l'activité physique, de la résistance à la fatigue, de l'initiative, de l'ingéniosité, du coup d'œil.

Maximes sur la Guerre – IV 
78

      Le courage est du bon sens et de la clairvoyance réunis (1).


      La guerre est de tuer, non d'être tué. J'ai vu des hécatombes qu'un simple ordre pouvait éviter.


      Le cœfficient de sécurité des hommes se mesure à leur courage. On peut bâtir sur les braves (2).


      Le courage résulte d'un calcul exact des probabilités (3).



1. Les hommes sans courage taxent le courage de brutalité et lui dénient finesse, clairvoyance et souplesse. Le courage est du bon sens et de l'intelligence réunis. L'expérience l'illumine. Il prévoit, calcule, combine.
2. Il y a une résistance des matériaux humains. Le cœfficient de sécurité des hommes se mesure au courage. – C'est au courage que se mesure la résistance du matériel humain.
3. Le courage résulte du calcul exact des probabilités,

Maximes sur la Guerre – IV 
79

      Il y a une disposition de tempérament qui rend aveugle sur le danger.


      On dit que la bravoure est contagieuse. Elle l'est, parce qu'elle déconsidère le danger.


      Le courage fait envie, même à ceux qui le méprisent.


      Les braves excitent moins par l'exemple que par la preuve qu'ils donnent de la médiocrité du risque. Jusqu'à ce qu'ils tombent, les braves sont les témoignages vivants de l'inexistence du danger.



exécuté par un esprit juste et renseigné. – Par la proportion des pertes dans un temps donné, on peut connaître au juste le danger qu'on court.

Maximes sur la Guerre – IV 
80

      Le mépris du danger, c'est le dédain de l'ennemi (1).


      Le danger que courent les braves ne vient pas de ce qu'ils s'exposent, mais de ce qu'ils s'exposent souvent. Le risque est fonction du temps plus que du danger.


      Les braves meurent rarement le jour où ils s'exposent le plus (2).


      On court souvent des dangers par plaisir. On en court d'autres par devoir. On en court certains par rage, et ceux-ci sans mérite.



1. Une des formes de l'héroïsme est de nier l'ennemi. L'ennemi n'est ni omniscient, ni omniprésent.
2. On peut dire des braves que, par leur connaissance de la guerre, ils sont ceux qui s'exposent le plus en risquant le moins.

Maximes sur la Guerre – IV 
81

      Le danger n'est pas la mort. Si grand soit-il, il n'est que le risque de la mort. Les caractères qui aiment risquer sont attirés par le danger.


      Le danger attire presque tous les hommes. Les grands dangers n'attirent que des natures exceptionnelles (1).


      On part souvent au danger sans y croire ; puis, il devient pressant, et l'on voudrait bien être autre part.


      Dans le danger, l'homme qui voit juste apprécie son risque et sait souvent qu'il risque peu. L'intelligence est un des facteurs du courage.



1. Il y a un vertige du danger qui attire. Les grands dangers n'attirent que des natures exceptionnelles.

Maximes sur la Guerre – IV 
82

      Il est difficile d'apprécier les grands dangers. L'expérience ne suffit pas. Il faudrait de la mémoire (1).


      Il ne faut jamais confirmer par des paroles l'imagination qu'on a du danger. Certaines circonstances de la guerre sont si dures, qu'on a le droit de les trouver telles, mais on a le devoir de le taire. Le moral est de mentir.


      Il faut distinguer le danger de l'imagination qu'on en a. Les hommes d'un cœur moyen exagèrent toujours les grands dangers.



1. Les hommes les plus habitués à la guerre connaissent rarement le danger qu'ils courent. Ils le mesurent par comparaison, mais seulement avec des souvenirs récents. Les souvenirs s'effacent vite à la guerre. On sait bien que certains jours il a fait chaud, mais on ne se rappelle plus le degré. – Les grands dangers se comparent mal.

Maximes sur la Guerre – IV 
83

      Dans le danger, le rôle d'un chef est de le faire imaginer moindre à sa troupe. Un chef est maître dans une mesure de l'imagination de ses hommes.


      La sensibilité peut être affectée par le danger, mais elle doit seule l'être. Chez l'homme de guerre, la raison forme un état-major à part.


      La peur panique est l'empoisonnement de l'individu par la sensibilité.


      Il n'y a ni tués ni blessés dans les batailles. Les balles tuent quatre hommes et en intimident mille.


      On croit toujours échapper au danger



Maximes sur la Guerre – IV 
84

par le mouvement. L'attente de la mort dans l'immobilité veut du stoïcisme. La nature n'y a pas attaché de volupté.


      Il y a des actions qu'on accomplit pour qu'elles soient vues. Mais la bravoure animale ignore le spectateur. Elle résulte de l'instinct et jouit de soi-même.


      Les hommes qui aiment l'aventure peuvent s'exposer d'une façon condamnable, jamais d'une façon inutile. Le danger trempe l'âme et, seul, fait l'homme de guerre.


      L'homme de guerre lui-même s'endort en seconde ligne.


      Ce qui est vrai de l'audace à la guerre, l'est partout. Le tout est d'oser. Le monde est aux impudents.



Maximes sur la Guerre – IV 
85

      L'homme normal ne craint point, non par force morale, mais par constitution (1).


      Tout ce qui diminue la vie ouvre le cœur à la crainte (2).


      Le danger crée le génie.


      La victoire est un fleuve qui coule. Tous les hommes y sont suffisants. C'est dans les revers que l'on juge le rameur (3).



1. L'homme normal se croit immortel dans la vie et invulnérable à la guerre.
2. L'homme touché dans son appareil générateur est craintif. L'homme malade est craintif. Tout ce qui diminue la vie ouvre le cœur à la crainte.
3. Les hommes se jugent dans les revers. La déroute est un fleuve qui emporte tout ce qui est flottant. Les rocs tiennent.

Maximes sur la Guerre – IV 
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      Dans le danger que l'ennemi fait courir, il y a un défi et une insulte. C'est par la crainte qu'il entend briser la volonté. La question qui se pose est simple. À qui obéir ? À son devoir ou à sa crainte ? À l'honneur ou à l'ennemi ?


      Au plus fort des actions, la prudence accompagne le courage comme une ombre.


      Une intrépidité sans prudence tournerait à l'étourderie (1).


      L'audace est fonction de l'intelligence plus que du moral.



1. Il n'y a pas d'audace sans prudence.

Maximes sur la Guerre – IV 
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      Les esprits, dans les déroutes, semblent frappés de démence (1).


      On rit et on s'ébroue après le danger.


      Les coups de l'ennemi qui se trompe font sourire.


      Au début des guerres, on se croit tenu par l'honneur à courir des risques que quelques jours après, on éviterait (2).


      La prudence est un fruit de la guerre.



1. Les positions les plus défendables sont, dans les déroutes, abandonnées sans combat. Des officiers solides proposent de faire sauter les canons. Les canons partent sans leurs munitions. – Dans la contagion de la déroute, le courage immunise.
2. Les officiers inexpérimentés à la guerre croient tenir sur des positions que, quinze jours après, ils abandonnent.

Maximes sur la Guerre – IV 
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      Au début des campagnes, il faut s'assurer d'abord de son courage. On y perd du monde ; la prudence s'impose, et l'on devient économe en restant généreux.


      La prudence est le bon sens de l'héroïsme (1).


      Quand on est sûr de son courage, la prudence devient une vertu.


      Le sacrifice est affaire de moment et de tact.


      Les yeux des braves se comprennent. Dans le danger, on ne rencontre plus le regard des hommes sans bravoure. La première tendance à la fuite se manifeste



1. Il n'y a pas de héros sans bon sens ; la raison le gouverne. – La raison est la force d'âme.

Maximes sur la Guerre – IV 
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dans les yeux. Le regard des lâches fuit, comme ils voudraient fuir eux-mêmes.


      L'audace est d'abord l'intelligence du non-danger.


      Les coups d'audace doivent être courts.


      La jactance n'est pas une fleur des champs de bataille (1).


      Il a peut-être existé des courages à panache. On les conçoit mal. Dans les dangers suprêmes, la belle forme de l'âme est la simplicité. Il y a une offrande de soi-même à la mort et des hommes qu'on commande qui ne va pas sans gravité. Les pentes du Golgotha sont



1. La jactance naît d'un sentiment incomplet des devoirs, des responsabilités.

Maximes sur la Guerre – IV 
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dures à monter. Un dieu est mort sur la croix, modestement (1).


      Ce dont l'être supérieur est avide, c'est de sa propre estime.



1. Un dieu est mort sur la croix sans forfanterie. – Il n'y a pas de grands gestes à la guerre.

Maximes sur la Guerre – V 
91

V.


      Âme de chef, émulation de vertus. Qui ne tolère pas de plus brave que soi dans sa troupe, est le chef né.


      Le chef naturel est le plus brave.


      Au début de la guerre, où tout le monde est neuf, des subalternes peuvent le prendre de haut. La valeur du chef est inconnue. Son expérience est sue nulle. Le ton baisse après quelques jours.



Maximes sur la Guerre – V 
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      Les chefs ont à gagner leurs galons devant leurs hommes.


      C'est une faute de reprocher à un chef son héroïsme, quand il n'engage que lui. C'est parce qu'il y a des chefs qui s'exposent qu'il y a des hommes qui meurent.


      Les hommes doivent consacrer leur chef dans leur cœur.


      Il ne faut jamais de chefs nerveux, surtout dans les revers. L'aigreur est le dernier défaut du chef. Elle détrempe l'âme, même des héros. Le chef peut se montrer impitoyable dans ses exigences ; mais, pour obtenir, il doit être d'abord la source où se retrempent toutes les énergies.



Maximes sur la Guerre – V 
93

      Un chef qui n'est pas exalté par les braves qu'il commande, est mûr pour l'arrière.


      L'audace des chefs est faite de la joie d'obéir de la troupe.


      La bravoure du chef multiplie la valeur de la troupe. Elle assure son contrôle et répond de son emploi.


      Chaque homme, chaque officier rend quatre sous un chef ardent.


      C'est une faute de croire qu'un chef peut se passer de bravoure, parce qu'il commande d'un poste peu exposé. Les chefs sans bravoure s'effondrent dans les



Maximes sur la Guerre – V 
94

revers et entraînent leurs troupes avec eux.


      Un corps sans âme, une troupe sans chef a toujours besoin de repos.


      Il y a des troupes sans chefs, il n'y a pas de troupes fatiguées (1) .


      Passionnez vos hommes ; ils n'auront jamais besoin de repos (2).


      Aucune troupe ne murmure contre l'honneur.

      Les ordres que reçoivent les braves



1. Les troupes fatiguées sont l'apanage de chefs inertes.
2. La fatigue commence quand la passion faiblit. Enflammez vos hommes, ils n'auront jamais besoin de repos.

Maximes sur la Guerre – V 
95

comblent rarement leur puissance d' emploi. Hors le moment où on lui demande de mourir, l'homme de guerre trouve toujours le commandement timide.


      L'âme noble veut plus qu'obéir ; elle veut hausser qui la commande.


      Les hommes de guerre ne subissent pas le danger ; ils le manœuvrent.


      Dans les grandes actions où les hommes donnent tout d'eux-mêmes, le ravitaillement peut manquer. La passion nourrit.


      Le commandement est facile à la guerre. On n'y commande qu'à des saints (1).



1. ll est plus facile de commander une troupe en temps de paix qu'en temps de guerre, parce que, en temps de guerre, les hommes qu'on commande sont des saints. – Tous les hommes sont des saints à la guerre. ll n'en est pas un qui le sache. Le héros est le saint volontaire.

Maximes sur la Guerre – V 
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      Les hommes servent leur chef comme un dieu. Le chef nourrit, le chef fait vivre, le chef fait mourir. Changer de chef, c'est changer de dieu.


      Il y a toujours des difficultés pour un chef à prendre de nouveaux commandements.


      Quand un chef est libre de son poste de combat, il y va de son honneur de savoir s'exposer.


      Il est moins dur d'obéir que de délibérer (1).


      Les subalternes ignorent les respon-



1. Il est plus facile d'obéir que d'imaginer.

Maximes sur la Guerre – V 
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sabilités dont les chefs se chargent. Ils ne leur en tiennent pas compte.


      La récompense des hommes est d'estimer leurs chefs.


      Les troupes ne sont pas toujours prêtes à s'efforcer. Un chef subalterne peut faire rendre à sa troupe plus que son dû, mais il faut du tact (1).


      Les sacrifices utiles font l'ivresse des troupes.


      Ne pas décourager le commandemment, premier devoir d'un chef à tous les échelons.



1. On peut tout demander à une troupe, quand le motif est raisonnable.

Maximes sur la Guerre – V 
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      La discipline autorise un chef à discuter les ordres qu'il reçoit. Mais si l'ordre est dur, à différer l'obéissance, il décourage le commandement.


      Les héros seuls sont en droit de discuter les ordres durs, parce que, à le faire, ils n'usent pas le moral du commandement.


      Un chef subalterne ne peut rien contre des ordres infortunés.


      De même qu'il y a des femmes stériles, il n'y a pas que des braves à la guerre.


      Les pertes sont la honte d'un chef.



Maximes sur la Guerre – V 
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      Les combattants supportent mal les critiques du non-combattant.


      La guerre ne s'apprend qu'au combat. Sans courage, pas d'expérience (1).


      La connaissance de l'ennemi est le premier devoir du chef.


      Il y a des hommes pour qui la loi de la guerre consiste à ne pas s'exposer.


      Les officiers d'État-Major sont les métaphysiciens de la guerre.



1. Le courage est l'A. B. C. de la guerre. La guerre ne s'apprend que sur la ligne de feu. – Sans courage, pas d'expérience. Tu enverras une troupe à la mort par ignorance. Tu reculeras, quand tu pourras tenir. – La bravoure permet seule d'acquérir l'expérience de la guerre.

Maximes sur la Guerre – V 
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      Il y a des chefs qui osent rester à l'arrière. Cela peut ne pas nuire à leur avancement (1) .


      Tout ce qui est de second ordre est parfaitement contrôlé à la guerre ; mais le combat l'est moins.


      L'observation est rarement à la guerre ce qu'elle doit être. À chaque échelon, le chef la confie a un subordonné, en sorte que les yeux de l'armée tombent au dernier rang de la hiérarchie.



1. Il y a des chefs qui donnent à penser que l'ennemi est à l'arrière.
2. Tout ce qui est de second ordre est parfaitement contrôlé à la guerre. Une troupe ne touche ni une paire de chaussures, ni une botte de paille en trop ou en moins. Quant au point de chute des obus, en dehors du capitaine qui dirige le tir, et qui est juge et partie, Dieu est là pour le vérifier.

Maximes sur la Guerre – V 
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      Ce n'est peut-être pas sans raison que la nature a placé les yeux à la tête.


      Les organes les plus délicats du corps sont les yeux, et ce sont pourtant les plus exposés .


      À la guerre, trop souvent, ceux qui voient ne commandent pas, et ceux qui commandent ne voient pas (1).


      Comme ceux qui voient ne commandent pas, ils se désintéressent parfois de regarder.


      À aucun échelon, le commandement



1. Une des misères de la guerre de position, c'est que ceux qui voient ne commandent pas, et que ceux qui commandent ne voient pas.

Maximes sur la Guerre – V 
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ne peut être exercé par des aveugles. Un chef qui se crève les yeux est un mutilé volontaire.


      Un chef qui voit, ouvre d'abord les yeux de ses subalternes.


      Les États-Majors portent des foudres, parce qu'ils doivent observer des sommets et réagir comme l' éclair (1).


      Il est bien des excuses à la cécité d'un chef. Une besogne lui incombe qui embrasse beaucoup de domaines. S'il n'y prend garde, le combat devient le moindre souci de son commandement (2).



1. Les États-Majors portent des foudres, parce qu'ils doivent observer des sommets et réagir comme l'éclair. En fait, ils n'observent et réagissent que par des intermédiaires.
2. Il y a bien des excuses à la cécité d'un chef. Une besogne lui incombe qui embrasse bien des domaines,

Maximes sur la Guerre – V 
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      Il y a peu de visiteurs qu'un chef organisé ne puisse expédier en quatre minutes.


      La voix des chefs sans courage s'étrangle, quand ils parlent aux braves.


      L'accueil hostile aux braves est involontaire chez le chef sans courage. Il voudrait s'en défendre ; il doit s'y résigner.



en dehors du combat. Le ravitaillement, les renforts, les questions de haute paye et de sabots, l'habillement, le matériel, le personnel, les services annexes, leur coordination, les rapports, les visites, la discipline, l'avancement ; les récompenses, la circulation et toute cette administration infinie de la guerre absorbent tout son temps. S'il n'y prend garde, le combat devient le moindre souci de son commandement. Un chef doit être un homme de combat.

Maximes sur la Guerre – V 
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      Les plus fins des chefs sans courage ne font qu'ironiser auprès des braves. Les braves seuls savent parler aux braves (1).


      L'ironie ni le scepticisme n'ont de place aux Armées. L'ironie change le signe des valeurs ; elle n'a que faire dans l'action. Le scepticisme vient d'un chancre du cœur et marque une maladie honteuse (2).


      Il est piquant d'entendre reprocher aux braves leur ignorance des conditions du combat.



1. Un chef sans courage ne peut que rabaisser le courage. Il le nie, le ridiculise ou le condamne. – Auprès d'un chef ou d'égaux sans bravoure, il est bon de cacher une action d'éclat.
2. Les femmes ni les combattants ne comprennent l'ironie. L'ironie change le signe des valeurs. Elle n'a pas sa place dans l'action.

Maximes sur la Guerre – V 
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      Il y a des moments où la vie du chef importe plus que celle de la moitié de ses hommes.


      On n'a le droit de rompre à la guerre que pour manœuvrer. Il faut être sûr de son génie pour consentir à reculer.


      Le sol de la Patrie, quand on l'abandonne, se mesure au mètre.


      C'est chez le fantassin que bat le cœur de la Patrie (1).


      Dans les fatigues extrêmes, soyez sobres. Il y va de l'honneur. J'ai vu des



1. L'artillerie n'est pas l'arme propice au héros. Le héros de tempérament y a mal son emploi.

Maximes sur la Guerre – V 
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      États-Majors ivres pour avoir bu quatre doigts de vin après trois nuits sans sommeil.


      Le danger passé, nourrissez vos hommes. L'estomac crie quand l'esprit se repose.


      L'animal qui digère, n'est plus de combat. Méfiez-vous des États-Majors qui mangent trop.


      Hors du jeûne, point d'ascétisme. Au combat, le moral s'exalte par les privations. L'homme repu n'a plus de passion (1).



1. Le jeûne a été inventé par les Ordres pour hausser le moral. – La femme mange moins que l'homme, parce qu'elle a plus de passions.

Maximes sur la Guerre – V 
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      Sur la ligne de feu, il n'y a plus de discipline ; il y a le consentement mutuel. La discipline recommence à l'arrière.


      On ne retourne volontiers qu'aux lieux où l'on a souffert (1).


      Dans une région dangereuse, ne vous abritez point : passez.



1. Les camps de repos ne sont point pour les pèlerinages. On ne retourne qu'aux lieux où l'on a souffert.


— Fin des Maximes sur la Guerre. —

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